Du fond d’un sanatorium suisse où il se meurt de la tuberculose, Wladimir Wladimirovitch, autrefois Grand Duc de toutes les Russies, assassin de Raspoutine, tsar potentiel, exilé à Paris, amant de Coco Chanel, époux d’une riche actrice américaine, raconte ce que fut sa vie.
Tout sauf celle d’un héros prestigieux, contrairement à ce que pourrait laisser imaginer cette brillante énumération. Ses mémoires sont plutôt confessions, au fil desquelles se dessine le portrait d’un pantin indécis, grand aristocrate décadent manipulé de bout en bout par des forces qui le dépassent – à l’image de tous ces princes russes fauchés par la révolution d’Octobre.
Son seul acte politique concerté – un soir de beuverie, dans les salons d’un bordel – entraîna la chute de son monde, le massacre des siens et l’exil éternel loin du pays de son cœur. Cette Russie qu’il continue à aimer follement, jusque dans ses crimes, jusque dans la haine de tout le reste.
Un pantin indécis, mais tout sauf un personnage sans âme. Pétri des préjugés de sa caste et de son temps, mais trop bien conscient de ses fautes et de ses failles. De son propre vide. Amer, désespéré, sarcastique, douloureux, amoureux. Souvent agaçant, parfois odieux, mais profondément humain et profondément touchant.
Il n’est pas nécessaire de comprendre grand chose à cette page d’histoire pour comprendre que le récit se nourrit d’ellipses, de raccourcis. Et d’ailleurs, le narrateur ne porte même pas le nom du personnage historique qu’il représente – Dimitri Pavlovitch, qui eut exactement le même parcours, mais dont l’auteur retient plus l’essence que les détails. Il s’intéresse moins à l’histoire en tant que telle qu’à l’histoire en tant que potentiel, humain et poétique. Ce qui est peut-être la plus belle manière de l’explorer.
Il en tire un roman superbe – dur, puissant et poétique, ponctué de dialogues à la limite de l’absurde et de poèmes d’une précision évanescente de haïkus, posés comme des perles dans la boue du monde pour dire, malgré tout le reste, sa beauté.